Le Surhomme de Friedrich Nietzsche
Une Introduction Philosophique
Pierre Kynast. Traduction: Frederic Clarke
Latéral 172. ISBN 9783943519112
Ce livre est un pari. Un pari, car la philosophie nietzschéenne du surhomme est ici retracée sans la critiquer, sans l’édulcorer ni la diaboliser. Celui qui cherche une réponse à la question de savoir ce qu’il a en lui du surhomme de Nietzsche la trouvera ici -sans autoritarisme ni avertissement moralisateur. Il ne s’agit ici que de suivre le concept du surhomme à travers l’œuvre de Nietzsche, en intégrant nombre de ses dangereuses pensées et de les lier, en suivant les indications de Nietzsche, aux événements actuels de notre temps, par exemple au préambule de la constitution allemande. Avec Nietzsche le monde prend une couleur autre. Encore aujourd’hui -et peut-être plus qu’à aucun moment- le surhomme de Nietzsche demeure une philosophie pour après-demain dans la recherche de nouveaux philosophes.
Extrait
Le Valeurs de « Bon et Mauvais », « Bien et Mal »
La quête de valeurs issues d’un « sur-monde » et extra humaines est un non-sens. Il n’existe aucune valeur qui ne soit liée à une vie. Et c’est de là que provient le plus grand danger de toute moralisation, de généraliser une valeur forcément subjective et de la déclarer comme « objective ».
Avec le mot « bien » les hommes expriment un jugement de valeur et en conséquence ce qu’ils jugent et comment ils le font, Nietzsche en tire principalement deux possibilités distinctes et de là, l’origine de la morale. D’un côté l’affirmation spontanée de sa propre intention, personne ou fait, de l’autre le ressentiment, le déni émotionnel contre quelque chose ou quelqu’un. De ces deux façon de d’apprécier la valeur découlent deux morales et par là même deux concepts du « bien ». Le concept du « bien » qui correspond au « oui » spontané, détient forcément, selon le temps et l’objet, la primauté. Ce que confirment également les recherches étymologiques de Nietzsche. En voici le résultat :
que partout le « distingué », le « noble », au sens social est le concept de base, à partir duquel « bon » dans le sens de « l'âme élégante », « noble », « âme de haute éducation », " de « l'âme privilégiée» s’est développé nécessairement : un développement qui est toujours en parallèle avec l’autre aspect, le « commun », le « vulgaire », le « faible » qui finalement aboutit dans le mot « mauvais ».
Le « Bon » est, depuis ses débuts, la marque de la prédominance politique ou sociale. Les élites de la société modèlent dès le départ le concept. Ce qu’elles considèrent comme bon, ce qu’elles célèbrent, c’est cela le « bon ». Ce sont les noms qu’ils se donnent eux-mêmes et qui se développent comme la quintessence du « bon ». C’est ainsi par exemple que le mot latin « bonus » (bon) renvoie étymologiquement à « l’homme de guerre » et donne une indication « sur ce qui constituait « la bonté » d’un homme de la Rome antique. ». L’équation aristocratique des valeurs : « bon = noble = puissant = beau = heureux = aimé de Dieu » constitue la racine positive, issue de l’affirmation du. concept de « bon » - issue du « oui » du seigneur à lui-même. Les nobles n’en seraient jamais venus à cette idée d’avoir honte de leur bonheur et ce qui est « mauvais » n’arrive que rétrospectivement, isolé d’eux-mêmes. L’évaluation aristocratique
agit et croît spontanément, elle ne cherche son antithèse que pour y trouver sa propre affirmation avec plus de joie et reconnaissance encore – son concept négatif « bas », « mauvais », « commun » n’est qu’une image contrastante venue plus tard, blafarde, en relation à son concept positif traversé par la vie et la passion « nous les nobles, les bons, les beaux, les heureux !
Dans les mots avec lesquels est désigné le petit peuple, l’homme du commun, on entend résonner une espèce de pitié, de considération, d’égard. La splendeur auto-proclamée des puissants, des possédants n’a qu’un regard fatigué pour ce peu qu’ils constituent, les faibles, les pauvres et les gens dénués de pouvoir –en aucun cas un regard mauvais ! –mais aussi pour quoi faire ?
Le concept originel du « bon » est donc à tous égards du ressort d’un « oui » des seigneurs à eux-mêmes et à ce qui leur semble bon. Nietzsche nomme la construction de valeurs qui en découle, « morale de seigneurs ».
participe à sa constitution une puissance corporelle, une santé florissante, riche, exubérante et disposant de tout ce qui lui est nécessaire pour l’entretenir, la guerre, l’aventure, la chasse, la danse, les jeux guerriers et en général tout ce qui contribue à la robustesse libre et joyeuse
l’activité est nécessairement impliquée dans le bonheur.
La seconde possibilité de génèse d’un concept du « bien » consiste comme on l’a déjà dit, dans la négation. Mais avant qu’un concept de bien puisse être construit, cette évaluation nécessite un concept positif, dont la négation pourra aboutir ensuite à un « bien ! ».
Aussi peu que le première conceptualisation positive et spontanée comporte d'artificiel - se prendre soi-même pour "juste" est quelque chose qui est commun à tout-un-chacun et fait partie de l’expérience - cette seconde en est pétrie . Le dépossédé, l’asservi ou l’opprimé devient responsable de cela, aussi noble soit-il, et peut difficilement être qualifié de bon. Il est dans cette perspective, le mauvais - et même cette négation "du mal" est l'origine autre du concept de «bon». «Bon» signifie désormais: ne pas voler, ne pas soumettre, ne pas piétiner- le ressentiment lui-même devient créatif et donne naissance à des valeurs.
À ce point, selon Nietzsche, débute l’insurrection de l’esclave dans la morale. Les opprimés, les faibles, les maladifs et les proies du malheur ne savent rien faire d’autre pour affirmer leur valeur autoproclamée que de déprécier leur antithèse, de vouer l’existence terrestre, florissante, autocratique, au Mal. Cela est compréhensible dans une certaine mesure, comme on l’a déjà dit. En effet :
Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas en tant que telle, qu’elle ne soit pas une volonté d’écrasement, de terrasser , une volonté de domination, une soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, est aussi insensé que de demander à la faiblesse de s’ériger en force.
C’est pourtant avec cela que se prépare la « morale d’esclaves ». Elle trompe finalement les faibles, dont elle se nourrit, pour renforcer l’incapacité à écraser, l’incapacité à devenir un maître et explique que :
l’impuissance qui s’abstient de représailles devient « bonté » ; la bassesse la plus craintive « humilité » ; la soumission à ceux que l’on hait, « obéissance ». L’innocuité du faible, la lâcheté même sont parées du joli nom de « patience »…Et l’on va jusqu’à parler de « l’amour de son ennemi » -en transpirant.
La construction de valeur obtenue avec ces deux types d’évaluation restitue, en tant que « morale d’esclaves », les conditions sous lesquelles la « morale des seigneurs » peut maintenir son existence. Les représentants les plus proéminents de la « morale d’esclave » sont pour Nietzsche les prêtres et l’exemple le plus significatif du combat entre « morale d’esclaves et morale de seigneurs » est pour lui le combat de « Rome contre la Judée, la Judée contre Rome », cette Judée que la chrétienté a vaincu –jusqu’à la mort de Dieu. Ce qui s’ensuivit fut l’inversion de toutes les valeurs. Du « bon » inscrit à tous égards comme premier dans l’échelle des valeurs « Bon et mauvais », on fit le « méchant ». Le « mauvais » se déclara contre ce mal comme « le bon » avec ses conditions d’existence érigées comme valeur en soi. En fonction de quoi, il s’ensuivit finalement une nouvelle échelle de valeurs –« bien et mal » - transfiguré ici dans les deux sens et le monde marchait sur la tête.
Maintenant, ce dont il s’agit devient peut-être un peu plus transparent : « Zarathoustra, le premier psychologue du bien est par conséquent un ami du mal. »
Les bons dont il s’agit ici, sont les « bons » de l’échelle de valeurs « bon et mauvais ». Ils remportèrent la victoire historique dans le combat pour les valeurs et ce sont donc ces valeurs de faiblesse et de décadence, qui sont désormais à l’honneur. Il est aussi désormais plus clair, de qui Zarathoustra est l’ami. Et l’on commence à percevoir où figure le grand point d’interrogation de Nietzsche, lorsque l’on a dans ce contexte sous les yeux sa caractérisation de Napoléon.
Comme une flèche finale indiquant l’autre voie apparut Napoléon, l’homme le plus singulier et le dernier venu , et en lui le problème incarné de l’idéal aristocratique en soi – réfléchissons bien sur le problème posé : Napoléon cette synthèse de l’inhumain et du surhumain…